• Mean Time to Failure

  • 2024
  • Espace Le Carré, Lille, exposition collective

1967 Wimbledon White, modèle mythique d’une Mustang, dont l’épopée mécanicienne a révélé à son nouveau propriétaire, son passé de voiture de course conduite par Johnny Hallyday. Même privées d’âmes, les choses qui nous entourent n’en ont pas moins une vie, qui parfois nous précède et vient nous surprendre.

D’autre fois, cette vie silencieuse nous échappe, en dormance, bercée par le ronronnement quotidien et une prétendue immuabilité, jusqu’à ce que celle-ci n’éclate dans des résistances et des pannes. Derrière leur promesse d’indéfectibilité et la fiction de solidité, les objets qui nous entourent sont faits de matières et de mécanismes, que l’usure guette. Au plus proche de nous, ils forment une multitude, que le philosophe Bruno Latour, qualifie de “masse manquante du social”, un angle mort de la considération, alors même qu’on délègue à ces objets des actions et des responsabilités agissantes, et que par là-même on s’attache à eux.

Les objets vivent pourtant avec nous et nous avec eux, nous engageant mutuellement dans des relations de soin. C’est là que se joue la maintenance, comme « travail attentionnel ». Un travail du quotidien et banal, quasiment imperceptible. À l’inverse de la panne et de la crise, que l’on romantisme volontiers et qui nécessite l’intervention réparatrice d’un MacGyver, la maintenance est une veille, une continuité d’arrière-plan, l’inquiétude qui retarde la défaillance à venir. Dans le jargon technique, elle peut s’exprimer en durée selon la mesure du mean time to failure, c’est-à-dire, le temps moyen de fonctionnement avant la prochaine panne. Dans le langage courant, la maintenance c’est le sale boulot, celui des précaires, des intérimaires, des ombres. Socialement peu valorisée, la maintenance implique pourtant un rapport au monde renouvelé, car sensible et sensuel, à la fois plus observateur et plus tactile. Dans une valse des hésitations, elle nous entraîne vers une constante négociation avec la vulnérabilité, et nous fait adopter une position politique qui refuse le règne du progrès et du remplaçable. Les œuvres réunies pour l’exposition révèlent par touches ce système maintenance tentaculaire : ici dans ses gestes, sa temporalité, ses récurrences. Intime ou générique, urbaine ou naturelle, matérielle ou symbolique, elles esquissent ensemble les premiers pas d’une chorégraphie de l’entretien.

Texte d'Andréanne Béguin

© Photos: Ermis Papastamou